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THE LIMIÑANAS

Par Raphaël LOUVIAU

Les LIMIÑANAS ne font décidément rien comme les autres. Aux portes d’une reconnaissance de masse, le duo balance son album le moins consensuel et tente le passage en force.

Le fond n’a pas foncièrement changé, c’est la forme qui surprend : peu de titres en français, plus de traces de cet humour décalé qui aurait pu être perçu comme un gag, des voix noyées dans la réverbération, des invités ultra chic (Bertrand Belin, Emmanuelle Seigner) utilisés à contre-emploi et toujours pas l’ombre d’une concession. Les LIMIÑANAS continuent de se foutre royalement des quotas et de Taratata. On n’ose à peine l’écrire par peur de voir tant d’intransigeance disparaitre devant les chimères du business mais on se rassure vite, Marie et Lionel ont passé l’âge de prendre les vessies du business pour des étoiles du berger. N’empêche, cette trajectoire questionne : que le duo séduise le jeune perdreau impressionné par la barbe et la radicalité de Lionel, passe encore, mais qu’il rende systématiquement béat d’admiration tous ceux qui ont eu la curiosité de les découvrir, voilà qui est nouveau. Mince, personne en France, hormis quelques irréductibles, n’aurait parié un kopeck sur un collectif français perdu dans la pampa occitane. Les LIMIÑANAS irisent les poubelles du rock, les livrent dans leur éclatante beauté primaire à un auditoire sidéré que de telles splendeurs existent. Le duo rachète au passage quarante années de misérabilisme franchouillard, ridiculise les vaines tentatives de pseudo rebelles-à-SMAC et redonnent enfin l’envie de bomber le torse. Avec dignité. Lorsque désormais une collègue qui s’extasie devant Eddy de Pretto me demandera ce que j’écoute, je ne serai plus contrait de me réfugier derrière les Rolling Stones ou au mieux les White Stripes pour expliquer mes perversions. Je dirai crânement : « Moi ? Les Liminanas ! »

Bonjour Lionel, tu as une recette pour faire l’unanimité ?
Lionel LIMIÑANAS : Bonjour camarade. Je ne sais pas si nous faisons l’unanimité. Je ne crois pas. On fait notre truc dans notre coin dans une cave. Nous faisons exactement ce que nous voulons. C’est peut-être ça…

L’intransigeance n’exclue pourtant pas l’ambition ?
Je ne sais pas pour l’ambition. J’essaie de faire les choses honnêtement et pour Shadow People, je n’étais pas du tout dans le Yé-Yé par exemple… Et puis Noël à Berlin avec Anton, c’était tout de suite moins ensoleillé. Le disque parle du lycée, des bandes et de ceux de l’époque qui ont disparu mais qui sont toujours dans l’air, comme les shadow people anglo-saxons…

Une manifestation de la crise de la cinquantaine ?
Figure-toi que non… Je me sens plutôt bien dans mes pompes. Pas nostalgique non plus. Faudrait peut-être que j’aille consulter…

On écrit forcément différemment à 50 ans, avec un œil dans le rétro vers des années qu’on imagine plus insouciantes qu’elles ne l’étaient réellement. Et puis cette reconnaissance est plutôt gratifiante non ?
Oui, carrément ! Ce groupe a gommé toutes mes frustrations ! Et j’en avais des valises : le split de mes groupes précédents, les disques et les tournées avortés parce que tu dépends des autres. A partir du moment où on a renoncé au modèle démocratique habituel, on a commencé à avancer…

Les LIMIÑANAS ont inventé un fonctionnement qui leur est propre, une singulière dictature éclairée dans une autarcie protectrice et salvatrice mais paradoxalement ouverte aux autres. Une étrange antithèse qui intrigue. Franchement Lionel, ça doit parfois coincer aux entournures, non ?
Ça a été très compliqué parfois mais plus du tout maintenant. Marie et moi bricolons les disques et on les joue live avec le groupe en respectant quelques règles basiques : on ne picole pas avant de jouer, je ne veux pas de came et on respecte les gens chez qui nous jouons.

Certes ! Mais la dictature repose sur l’amour inconditionnel et la crainte de la répression, ou pire, la peur d’être viré du paradis, comme Gram Parsons foutu dehors de Nellcote par Keith Richards ! Tu vas me dire que chez vous c’est les deux, n’est-ce pas ?
Ben non, on n’a jamais viré de musicien ! Il n’y a pas de répression, juste quelques privations d’eau et de nourriture mais rien de grave. Aujourd’hui on sait tous ce que l’on a à faire et on aime vraiment jouer ensemble, faire la fête et voir nos tronches le matin dans le hall de l’hôtel. Et puis ils sont tous meilleurs musiciens que moi, on n’a aucun problème d’égo. C’est un miracle ! si l’un d’entre eux te dit le contraire, ne le croit pas.

Peux-tu nous dire quelques mots sur la genèse du nouvel album (Shadow People ) ?
Il y a quelque temps Anton Newcombe nous a contacté pour nous dire qu’il voulait travailler avec nous. Il nous a d’abord invité à faire sa première partie au Trianon, il nous a prêté son backline, écourté son set et imposé la groupe alors que la prod ne le voulait pas. C’est aussi grâce à lui que nous avons rencontré Radical, notre tourneur. Ensuite Mojo nous a demandé d’enregistrer une reprise des Kinks pour un tribute au « Something Else ». On a demandé à Anton de faire le chant. Ce qu’il a fait. Il nous a dit que ce serait cool de travailler dans la même pièce plutôt que par correspondance la prochaine fois. On était en train de bosser sur Shadow People et on est parti le finir avec lui une semaine avant Noël à Berlin. On est arrivé dans la nuit, c’est Andrea Wright son ingénieur du son qui nous a ouvert la porte. On a commencé à remonter nos morceaux dans le studio tout de suite et le lendemain matin Marie refaisait ses batterie en jouant sur celle des BJM. A partir de là, en quatre jours, Anton a rajouté des guitares, du Mélotron et je lui ai montré « Istanbul Is Sleepy » qu’il a enregistré en dix minutes. On a repris l’avion en n’ayant vu de Berlin que l’épicerie ou nous allions boire du café et acheter des bières. Dans un froid polaire et une grisaille épaisse.

Shadow People est sans concessions, radical, la formule évolue dans l’ampleur que prend le son mais peu dans l’écriture. Je crois me souvenir t’avoir dit la même chose à la sortie de Malamore d’ailleurs. C’est l’album parfait pour les nouveaux arrivants mais tu n’as pas peur qu’une lassitude s’installe chez les amateurs historiques ?
Sur l’évolution de l’écriture, je ne sais pas… Je n’ai pas envie de travailler sur un format couplet/refrain, j’ai encore envie de travailler sur le riff et sur l’histoire lue. Mais le prochain LP sera une B.O de film et le suivant – si tout se passe comme prévu – un mélange de musique de Detroit et d’électronique européenne… Mais pour répondre à ta question, je crois quand même qu’il y a une grosse différence d’approche entre les premiers singles et Shadow People. Les premiers singles respectent encore beaucoup les dogmes du garage, de la scène dont nous venons. Dans Shadow People, tout a pété – j’espère ne pas être prétentieux – il y a différents types d’écritures. Malheureusement on perd aussi en naïveté même si on s’efforce de continuer d’enregistrer des disques pour nous et pas pour le public et un éventuel succès. Je me méfie de ça comme de la peste…

Tout à l’heure tu as éludé la question de l’ambition du groupe. Le groupe suit pourtant une trajectoire fulgurante. Entre les Pieds Nickelés aux USA (voir Dig It !) et la tournée qui s’annonce, il y a un gouffre. Le principe de réalité a-t-il finalement pris le dessus ?
Les choses se sont faites progressivement, cette tournée aux USA s’est montée sans budget, en ayant très peu répété, à l’arrache totale. Mais en gros c’est juste ce que l’on pouvait se permettre à ce moment-là. Faute de temps et de moyen. La réalité c’est que le rock and roll n’est pas forcément synonyme de loose. Nous voulons faire des disques et vivre des choses sur la route. C’est la seule ambition que j’ai depuis les Beach Bitches. L’idée d’avoir une bonne vie, différente et excitante. Et c’est très ambitieux. Je ne crois pas qu’on soit rentré dans le rang et dans une routine de tournée/enregistrement classique. On fait plein de choses, avec Pascal Comelade, Raph Dumas, des dj set, un scénario de BD avec Elric Dufau, la B.O du film de Kirk Lake. Par contre oui, on paye nos camarades musiciens, on a une piaule d’hôtel à chaque fois et un van qui marche. Et on essaie de se marrer. On s’entend bien, on a la chance d’avoir une sacré bonne équipe et c’est pour cela que nous jouons beaucoup plus qu’avant. C’est la seule raison.

Et Taratata ? Entre le début de cette interview et votre prochain passage à L’Aéronef, vous êtes allés chez Nagui. Je passe pour un idiot maintenant ! Vos détracteurs vont pouvoir déverser leur fiel…
Oui ! Le studio ressemble à un très gros cube et tu es accueilli par une équipe de backliners et de techniciens aux petits soins. De chouettes gars. Ça ressemble à un concert normal sauf que tu joues juste deux titres, ce qui reste un peu frustrant. Nagui était cool et bienveillant. Et j’ai croisé Philippe Katerine que j’adore. On a joué, fait l’interview et bien mangé. On a fêté ça ensuite et on est rentré à la maison avec une bonne grippe le lendemain. Si Nagui nous invite à nouveau, on y retournera avec plaisir. Pour le reste, voilà mon point de vue : des années soixante à aujourd’hui, tous les groupes anglais et américains ont toujours été jouer dans le peu de shows TV et d’émissions de radio qui leur offraient la possibilité de le faire. Ça permet de vendre des disques, de faire connaitre le groupe et de trouver des concerts. D’ailleurs, j’ai demandé au label si on pouvait faire Drucker ! On t’embrasse…

Rien que pour cela on devrait leur ériger une statue.