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BERTRAND BELIN

Par aSk

Le découvrir sur scène aura été l’occasion de se pencher sur son cas. Même si nous avions tendu l’oreille période «Hypernuit» (merci Serge Le Vaillant), on avait quelque peu manqué ce drôle d’oiseau qu’est BERTRAND BELIN.

Pourquoi, on ne saurait le dire. Tout était déjà là pourtant, la voix, l’écriture, le jeu de guitare, les arrangements, puis le line-up idoine (Tatiana Mladenovich – aka Fiodor Dream Dog- aux fûts) ; enfin, une certaine véracité en piste. Séance de rattrapage donc, avec Persona, nouvel opus qui n’en finit pas d’élargir le cercle d’exégètes. Non pas que la barre ait été placée un cran au-dessus (quoique), plutôt une question de synchronicité avec ses contemporain(e)s de par les thématiques abordées, plus frontalement peut-être.

Idem côté look (on ne peut s’empêcher de le souligner) : BELIN a troqué ses oripeaux de garçon so british pour revêtir peu à peu ceux d’un nouveau romantique à contre-emploi, voire d’un pasteur façon Nuit Du Chasseur… Des sauts dans le temps qui témoignent de métamorphoses latentes et d’un appétit sans bornes, comme si la synthèse anglo-saxonne et bretonne ne suffisait plus et qu’il fallait à présent lorgner vers les grands espaces. Un eldorado qui n’a plus été l’apanage des seuls Johnny, Eddy et Dick ; un certain Alain ou un certain Rodolphe surent remettre en selle avec subtilité ce mythe si tenace. Dorénavant, plus besoin d’américaniser son nom pour sonner : BERTRAND BELIN est resté BERTRAND BELIN (ouf), inscrivant d’office son nom dans une nouvelle lignée de trois « B » devenus essentiels dans l’hexagone (Bashung, Burger, Belin : CQFD). La banane arborée période Cap Waller retombe désormais en mode filasse, et le voici devenu bad boy de bande dessinée. Mais pas de personnage qui tienne ici, seulement une réjouissante disponibilité du corps en jeu (reliquat de collaboration côté danse contemporaine ?) pour des jeux d’esprit pas prise de tête.

L’interprétation est totale. Le soliloque à plusieurs s’invite, s’immisce, s’incruste, illustre, complète les compositions. Instinctif, BERTRAND BELIN maîtrise l’ouverture des vannes avec panache. Les joutes schizoïdes sont lancées de façon impromptue (et toujours improvisée dit-on). Un goût de l’oralité sans filet qui trahit des commencements sans fin, jusqu’à l’absurde, pendants hilares mais toujours sur le fil d’une pudeur paradoxale ; avec élégance, mais décidément au-delà d’un rôle de dandy-crooner lettré prémâché. Car la musique prime, doit primer. Les mots ne sont que prétextes, point de départ de faux malentendus. BELIN use du glissement de terrain, ses historiettes sont une succession d’éboulements jouissifs. On s’y précipite avec lui, juste pour le plaisir de remonter. Toboggan Sisyphe. Ne pas se contenter d’une linéarité prévisible. Le geste se fait cyclique, l’obsession revient, entre grand saut et repêchage, pour un numéro ô combien aquatique et charnel. Car cérébral certes, mais assurément sensuel. BERTRAND BELIN est en réalité une bête de scène (et il n’y a qu’à parcourir certains articles pour se rendre compte du trouble que l’artiste suscite – nous n’y échappons pas). Mais tout se passe comme si cette érotisation inhérente au statut de chanteur « rock » était ici anticipée, détournée, tournée en dérision. Oui, on glisse forcément vers autre chose, on dérive férocement même, jusqu’à l’os. Chien.

Tout n’est que jeu après tout, et ce qu’on apprécie chez BELIN c’est sa capacité à jouer, et d’abord avec lui-même. En faisant cohabiter dans l’espace-temps scénique différentes strates de l’intime, il nous emmène loin en même temps que lui. Tout se passe comme si son Moi écrivain (Littoral, Requin et Grands Carnivores aux éditions P.O.L. ; Sorties De Route chez La Machine à Cailloux) prenait l’ascendant et tirait les ficelles du tour de chant. S’agit-il d’une autohypnose en direct ? On sent qu’il se passe des choses, que le bonhomme en face est en train de lâcher prise et d’extraire quelque chose. Quoi, on ne sait pas encore, et peut-être qu’on ne le saura jamais. Ne compte que la manière, le processus, peu importe le résultat. Le capot est soulevé, mais dans un autre but qu’un changement effectif de pièces ; plutôt une question de vérification perpétuelle. S’autoriser à être lunatique et solaire à la fois. Troublant et limpide, bavard et taiseux, sans âge et à la page, aérien et irrémédiablement terrien. Comme un seul homme. Une armée en solitaire. Soldat de plongeon. Devenir cette personne qui nage tiens, tranquillement, pour un voyage en eaux étrangement familières. Jusqu’à la bouée…